Je le disais dans mon précédent post, j’écoutais la chanson Baia de I Muvrini dans le ferry me ramenant d’Alger vers Marseille. En tendant l’oreille et, malgré un Casanis, une Pietra et une Réserve du Président rosé (j’emm…. mon traitement), je traduis quelques mots : il est question de rapatriés, de femme kabyle déracinée…
De retour à Bordeaux, je retrouve le titre et je vous le livre. C’est émouvant. Le MP3 est en fin de page.
Sessanta dui
sì ghjunta quì
una valisgia
è pocu à dì
Tù d’algeria
venie à fà
u viaghjone
di chì ne sà.
Una altra casa, una altra vita da inventà,
una famiglia, un focu accesu è un campà,
una ferita, un spusaliziu da scurdà
issu figliulucciu ch’è tù lasciasti quale.
Eranu corsi
fughjiti sì da quella notte
voltati quì.
Eranu corsi è fecenu lu so pudè
da mare quindi si purtedinu ancù à tè.
A mio surella d’alterità
da Kabilia, à mare in qua
Ci hè qualchissia
chì saperà
à qualchi d’unu
devi manca
L’amore umanu
Dici l’aghju trovu sì
sò paisana cum’è tè ti piace à dì.
Mi parli corsu pè ringrazià
l’omu di quì
ghjè u to sole
ghjè u to sole
chì và così.
Un zitellucciu dice o Minnà
trovami tù veni à ghjucà
Un zitellucciu dice o Minnà
a conta ellu
a conta ellu a verità.
A mio surella d’alterità
a sola stella chì durarà
a sola stella
a sola risposta chì và
u solu libru
a sola pagina à stampa.
A sola fine a sola lettera à mandà
ghjè u dolce amore
ghjè u dolce amore
ghjè u dolce amore
dì tè Baià
Quand tu es arrivée
ici en soixante-deux
ton sac était léger
et tu parlais si peu
du pays d’Algérie
de ce trajet si long
à venir jusqu’ici
Tu en sais les raisons :
un autre toit, une autre vie à inventer
pour une famille, pour un destin, un feu allumé
une blessure, un mariage à oublier
et cet enfant là-bas qu’il te fallut laisser
Ils étaient Corses
qui s’en revenaient de cette nuit d’où ils fuyaient.
Ils étaient Corses,
faisaient de leur mieux, te ramenant jusque chez eux.
Ma grande sœur d’altérité,
de Kabylie, à nos côtés,
il y a bien quelqu’un
quelqu’un qui sait
quelqu’un à qui
tu dois manquer,
l’amour de l’humain.
Tu le dis si bien :
«Donc je vous ai trouvé ici,
je suis Paysanne aussi…».
Tu parles corse pour dire merci.
C’est ton soleil qui va ainsi.
Un petit enfant t’appelle «Minnà»,
«viens me trouver», «viens t’amuser».
Un petit enfant t’appelle «Minnà»,
c’est lui qui dit
c’est lui qui dit la vérité.
Ma grande sœur d’altérité,
la seule étoile qui peut durer,
la seule étoile
la seule réponse à méditer,
le seul livre,
la seule page à imprimer,
la seule fin,
la seule lettre à envoyer.
C’est cet amour,
ce seul amour,
ce doux amour
de la Corse et de toi,
c’est cet amour,
ce seul amour,
ce doux amour
de toi Baià.
(l’introduction est un peu longue, 1 mn avant les paroles)
Je vous laisse apprécier la force du témoignage de ces corses qui étaient pour certains depuis 2 ou 3 siècles en Algérie (il y a même eu un Bey corse – Hassan Corso – et une famille très influente, les Lenche, avant la colonisation). Ils ont émigré de Corse depuis des siècles pour fuir une terre pauvre. Contrairement aux français, ils n’ont pas hésité à « faire souche » en se mariant avec des autochtones, vietnamiennes, sénégalaises, algériennes… La société coloniale bien-pensante les considérait à part parce que « métissés ». Leurs enfants étaient ostracisés. « Tête de canard et cul de poulet ».
A l’indépendance, ces corses sont donc partis avec bagages, femmes et enfants, congaï, canards et poulets… Cette chanson parle de cette femme déracinée, Baia.